Perles de sagesse tirées de l’Évangile selon Philippe et un bref commentaire de ces extraits
L’Évangile selon Philippe (EsP en abrégé) est un texte gnostique atypique mentionné seulement par un Père de l’Église, Épiphane[1]. On ne connaissait rien d’autre de ce texte jusqu’à la découverte d’une jarre contenant 52 manuscrits à Nag Hammadi en Égypte en 1945. Ce texte contient des paroles attribuées à Jésus et des élaborations gnostiques plus tardives. Il se présente, non comme un Évangile classique, mais comme une sorte de traité, dans lequel l’auteur polémique avec des opposants, vraisemblablement des Juifs. Ce texte peut aussi faire penser à des notes de bas de page d’un Évangile disparu.
Le seul personnage désigné est l’apôtre Philippe[2], d’où
l’attribution pseudépigraphe de cet Évangile à ce disciple. Ce texte date de la
première moitié du deuxième siècle de notre Ère. Sa composition a eu
lieu à une époque où le Christianisme ne s’était pas encore complètement séparé
du Judaïsme.
Note
de l’auteur (NDA) :
Il s’agit de l’ignorance de sa vraie nature, de la Gnose[4]. Cela
rappelle « La Vérité vous rendra libre. »
(Jean 8.32)
« Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord puis qu’il a ressuscité sont dans l’erreur, car il est ressuscité d’abord et ensuite il est mort. »[5]
NDA : Pas besoin de mourir pour être
sauvé ! Selon les Gnostiques, le salut s’acquiert de notre vivant. On
retrouve la même idée dans l’Évangile selon Thomas (EsT), le joyau de la
collection de Nag Hammadi.
« Ceux qui disent qu’ils vont d’abord mourir et
ensuite ressusciter se trompent. S’ils n’obtiennent pas d’abord la
résurrection de leur vivant, ils ne recevront rien à leur mort. »[6]
NDA : La même idée que l’extrait
précédent, la résurrection c’est maintenant !
« Lumière et obscurité, vie et mort, droite et gauche sont
sœurs les unes des autres. Elles sont inséparables. »[7]
NDA : Toutes les expériences sont
utiles. On retrouve la même idée dans l’Évangile selon Thomas et chez la
plupart des mystiques.
« Il y avait trois femmes qui étaient proches du
Seigneur : sa mère Marie et sa sœur et
Marie-Madeleine, que l’on appelait sa compagne. »[8]
NDA : Sans doute le passage le plus connu
de l’Évangile selon Philippe, qui désigne Marie-Madeleine comme la femme de
Jésus.
« Quant à Marie-Madeleine, le Sauveur l’aimait plus que
tous les disciples et il l’embrassait souvent sur la [bouche]. »[9]
NDA : Dans la même veine que le passage
précédent. Des baisers initiatiques ou amoureux ? La parole précédente va
dans le sens de la deuxième hypothèse.
« La vérité est semée partout depuis le commencement (du
monde). Et il y en a beaucoup qui la voient semée, mais rares sont ceux qui la
récoltent. »[10]
NDA : La Sagesse divine existe depuis
tout temps.
« Ceux qui sèment en hiver récoltent en été. »[11]
NDA :
Un proverbe qui pourrait bien remonter à Jésus. L’hiver c’est le monde
terrestre, l’été c’est le monde spirituel. L’idée de profiter de notre séjour
terrestre pour progresser spirituellement se retrouve aussi dans l’Évangile
selon Thomas (au logion 88 par exemple).
« Si quelqu’un donne sans amour, il ne tire aucun profit de
ce qu’il a donné. »[12]
NDA : Une citation que Jésus n’aurait
pas désavouée.
« Ne crains la chair ni ne l’aime. Si tu la crains, elle te
dominera et si tu l’aimes, elle t’engloutira et t’étouffera ».[13]
NDA : Un résumé de la position de
Jésus vis-à-vis du corps ?
« L’âme
est une chose précieuse, mais elle habite un corps méprisable. »
NDA : Un logion aux accents platoniciens.
Plotin, le philosophe néoplatonicien n’a-t-il pas déclaré que « le corps
est la prison de l’âme » ?
De son côté, l’évangéliste Jean a écrit que « c’est l’esprit qui vivifie, la
chair ne sert à rien. » (Jean 6.63)
« Bienheureux êtes-vous vous d’avoir été avant d’être
(incarné) ! Car celui qui est a été et sera. »[14]
NDA : Selon la Gnose, nous sommes des
êtres éternels.
« Pour le moment,[15] nous pouvons voir les
manifestations de la création. Nous avons coutume de dire qu’elles sont fortes
et estimables, alors que ce qui est caché serait faible et méprisable. Voici ce
qui en est de ces manifestations en vérité :
elles sont faibles et méprisables, mais c’est ce qui est caché qui est fort et
estimable. »[16]
NDA : La différence entre le monde
spirituel et le monde terrestre.
« Il est
impossible à quiconque de voir quelque chose des réalités (supérieures) à moins
de devenir comme elles. Au contraire, l’homme sur terre voit le soleil sans
être le soleil, et il voit le ciel et la terre, et tout le reste, sans être
rien de tout cela. Il n’en va pas de même dans la Vérité (NDA : dans le monde spirituel). Au contraire, si tu as vu quelque chose de ce lieu-là,
tu es devenu cela. Ainsi, si tu as vu l’Esprit, tu es devenu Esprit, si tu as
vu Jésus, tu es devenu Jésus et si tu as vu le Père, tu deviendras le Père.
C’est pourquoi, en ce lieu-ci (NDA: sur terre), tu vois toute chose sans te voir
toi-même, mais, dans ce lieu-là (dans le monde spirituel), tu te vois, car ce
que tu vois, tu le deviendras ».[17]
NDA : La visualisation créative comme
on dit de nos jours.
« La vérité n’est pas venue dans le monde nue, mais c’est
en symboles et en images qu’elle est venue. Le monde ne la recevra pas
autrement. » [18]
NDA : La vérité ne nous est pas
donnée directement, à l’image des paraboles de Jésus.
« Un aveugle et un voyant
se trouvant dans l’obscurité, ils ne diffèrent pas l’un de l’autre. Quand
survient la lumière, alors le voyant verra la lumière et l’aveugle restera dans
l’obscurité. »[19]
NDA :
La dualité entre la lumière et les ténèbres était un thème cher aux Gnostiques.
Cette opposition se retrouve dans l’Évangile selon Jean.
« Du temps où nous étions
Hébreux, nous étions orphelins ; nous n’avions que notre mère. Mais lorsque
nous devînmes chrétiens, nous eûmes père et mère. »[20]
NDA :
Jésus est l’alpha et l’oméga.
« Dieu est un teinturier. Comme les bonnes teintures
dites « grand teint » se dissolvent avec ce qu’elles ont teint, de même en
va-t-il pour ceux que Dieu a « teints ». Puisque ses teintures sont
immortelles, ils deviennent immortels par le biais de ses couleurs. »
NDA :
Une jolie métaphore à propos de la dissolution de notre âme en Dieu.
« Une perle, si on la jette dans la boue n’en est pas
dépréciée pour autant, ni, si on l’enduit de baume, elle n’acquiert du prix,
mais elle a toujours de la valeur pour son propriétaire. Il en va de même
pour les enfants de Dieu : où qu’ils soient, ils ont encore de la valeur
pour leur Père. »[21]
NDA : Cette perle est une jolie image
de notre étincelle divine.
« Le Seigneur a dit : ‘’ Va dans ta chambre et
ferme la porte derrière toi et prie ton Père qui est dans le secret ‘’,
c’est-à-dire, qui est à l’intérieur de chacun. Et ce qui est à l’intérieur de
chacun, c’est le plérôme, le Tout. »
NDA : L’apologie de la méditation, du
recueillement, appelé oraison par Thérèse d’Ávila. C’est un moyen d’entrer dans
notre Royaume Intérieur et d’avoir accès au le Tout. L’EsT décrit un itinéraire
en sept étapes pour pouvoir faire émerger son Royaume Intérieur.
« Quand Ève était [en] Adam, la mort n’existait pas. Quand
elle fut séparée de lui, la mort survint. »[22]
NDA : Cet Évangile, comme les autres
traités gnostiques, prône la réunion avec le principe divin, le retour à
l’unité primordiale. Il nous encourage également à dépasser la dualité
homme/femme, car dans le Tout il n’y a pas de différenciation des sexes.
« Si la femme ne s’était pas séparée de l’homme, elle ne
serait pas morte, non plus que l’homme. C’est la séparation de
celui-ci qui fut le commencement de la mort. C’est pourquoi le Christ est
venu pour réparer cette séparation survenue aux origines, réunir les deux,
donner la vie à ceux qui étaient morts à la suite de la séparation et les unir. »[23]
NDA : Jésus est venu sur terre pour
aider les hommes à abolir la fausse dualité homme/Dieu.
« La chambre nuptiale, c’est le Saint des Saints. »[24]
NDA : Cette « chambre nuptiale » est une métaphore de
l’union de l’âme avec le Père de notre vivant, de l’éveil spirituel. Cette
expression ne revient pas moins de 25 fois dans l’EsP et deux fois dans
l’EsT.
« Les enfants de la chambre nuptiale ont un seul et même
nom, ‘’repos’’. »
NDA : Les personnes arrivées au bout
du chemin spirituel, les unifiés, vivent dans le ‘’repos’’,
de nos jours nous dirions la sérénité ou le lâcher-prise. Ce ‘’repos’’ est à la fois le but de l’itinéraire
spirituel et le moyen d’arriver au bout du chemin.
« Jésus
est venu et qu’il a apporté de la nourriture. Et, à ceux qui le désiraient, il
a donné [à manger] afin qu’ils ne meurent pas. »
NDA : Les paroles de Jésus sont
source de salut. Comme nous le dit le premier logion de l’Évangile selon Thomas,
« Celui qui découvrira l’interprétation des paroles (de
Jésus) ne goûtera pas à la mort. » Cf aussi « Bienheureux
les affamés, car, s’ils le souhaitent, ils seront rassasiés ». (EsT
logion 69a)
« Le Père était (est) dans le Fils et le Fils dans le Père.
C’est cela le Royaume de Dieu. »[25]
NDA : Comme nous le dit le troisième
logion de l’Évangile selon Thomas, « le
Royaume de Dieu est en nous ».
« Il
n’y a pas d’incorruptibilité des œuvres, mais seulement des enfants (du Père). »[26]
NDA : Le Père était le Dieu suprême
des Gnostiques. Selon ces derniers, nous sommes tous les fils du Père. Tout
ce qui est terrestre est appelé à périr, seule notre âme est éternelle.
« Un
âne tournant autour d’une meule de pierre fit cent milles en marchant. Lorsqu’on
le détacha, il se trouva être encore à la même place. Il y a des hommes qui
font beaucoup de chemin et n’arrivent jamais nulle part. Le soir venu, ils
n’ont vu ni ville, ni village, ni construction, ni phénomène naturel, ni
puissance, ni ange. Ces malheureux ont peiné en vain. »[27]
NDA : Une jolie parabole à propos des
aspirants spirituels qui n’arrivent à rien malgré leurs efforts.
Je reviens sur l’Évangile selon Philippe dans mon livre
« Explorer son Royaume Intérieur » paru aux éditions Bookelis.
Dans ce livre qui s’appuie principalement sur l’Évangile selon Thomas, j’évoque
des thèmes chers à l’auteur de l’EsP tels que la Gnose ou la non-dualité.
[1]
Épiphane « Le Panarion » XXVI.13
[2]
EsP 91
[3]
EsP 123
[4]
Le terme « gnostique » vient du mot grec « gnôsis »
signifiant « Connaissance ». La Gnose est une philosophie selon
laquelle le salut passe par des enseignements puis des prises de conscience,
notamment de sa vraie nature.
[5] EsP 21
[6]
EsP 90
[7]
EsP 10
[8] EsP 32
[9] EsP 55 La fin de la ligne est incomplète, mais le mot
« bouche » est le plus probable.
[10]
EsP 20
[11] EsP 7
[12] EsP 46
[13] EsP 62
[14]
EsP 57
[15] Sur terre
[16] EsP 124
[17]
EsP 44
[18] EsP 67
[19] EsP 56
[20] EsP 6
[21] EsP 48
[22] EsP 71
[23] EsP 78
[24] EsP 76
[25]
EsP 96
[26]
EsP 99
[27]
EsP 52
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