Le secret de l’Évangile selon Thomas enfin percé !

 Le secret de l’Évangile selon Thomas enfin percé !

 

 

La structure et l’objectif de l’Évangile selon Thomas ont intrigué les chercheurs depuis sa découverte en 1945 à Nag Hammadi en Égypte. Il s’agit d’une anthologie de 114 paroles (ou logia) attribuées à Jésus. Environ deux tiers de ces paroles se retrouvent dans les Évangiles canoniques, mais un tiers d’entre elles sont inédites. Il s’agit du plus ancien recueil existant de paroles du Nazaréen. Il a été composé dans les années 45-70 de notre Ère.

Les premiers commentateurs de ce joyau de la littérature chrétienne[1] ont décrété que ce texte nouvellement retrouvé était juste une compilation de paroles du Nazaréen sans but ni ordre précis. Effectivement, à première vue, l’ordre de ces paroles semble aléatoire, bien que certaines d’entre elles soient regroupées par mots-clés, par thème ou par format (par exemple des paraboles ou des béatitudes consécutives). L’objectif de ce texte n’a pas reçu de réponse définitive de la part des chercheurs. L’universitaire Steven L. Davies s’est approché de la vérité en y voyant une exégèse du livre de la Genèse. Il est vraisemblable que Jésus se livrait à de tels exercices. Cependant, plusieurs influences semblent cohabiter dans cette œuvre étonnante : une philosophie pratique, des tendances proto-gnostiques, des passages qui auraient leur place dans le Nouveau Testament, des influences juives, platoniciennes, stoïciennes, ascétiques, et même hindoues et bouddhistes. Comme Jésus, en fait, qui était un personnage inclassable et multifacette.

À mon tour, je me suis efforcé de trouver un arrangement possible dans le texte compilé par le frère de Jésus, Jude ou Judas, également appelé Thomas[2] pour le distinguer des autres Judas du cercle des disciples de Jésus.

Le préambule[3] de l’Évangile de Thomas est clair, il y a bien un secret caché dans ce traité. La plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que ce préambule était probablement le sous-titre de cet ouvrage. S’il y a vraiment un agencement dans ce manuscrit, la clé se trouve forcément au début du texte, voire dans un autre texte de référence. Le préambule de cet Évangile ne nous apporte pas grand-chose à cet égard, mais le premier logion[4] mentionne des paroles cachées qu’il faudrait déchiffrer. Ailleurs dans le texte[5], on nous dit que tout ce qui est caché sera révélé, ce qui est encourageant. Le Logion 1 est, en quelque sorte, le guide de l’utilisateur de l’œuvre de Thomas.

Plusieurs commentateurs ont fait remarquer que ce manuscrit est basé sur le récit de la création du monde en sept jours tel qu’expliqué dans le livre de la Genèse. En effet, tout au long du texte, il y a des références à Adam[6], aux arbres du Paradis[7] et au repos que Dieu s’accorda le septième jour. Ceci est également frappant dans le deuxième logion où apparemment une liste d’étapes est énumérée, dont la dernière est précisément de trouver le « repos »[8]. J’ai donc examiné ce deuxième logion[9]. Dans sa version grecque, on peut en effet isoler un parcours en sept étapes vers le Divin qui sont autant d’expériences à vivre. Je les ai appelées les provinces du Royaume de Dieu.

La notion de « repos », de nos jours nous dirions la paix intérieure ou le lâcher-prise, n’est pas propre à Thomas. Elle se retrouve aussi dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Ainsi, dans l’Évangile de Matthieu nous lisons : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. »[10] Dans le livre de l’Exode, l’Éternel déclare : « Je marcherai avec toi, et je te donnerai du repos. »[11] On pourrait multiplier les exemples[12].

L’avant-dernière étape parle de « régner sur le Tout ». Déjà du temps de Saint-Paul, dans les années 50, le qualificatif de « rois » était donné aux personnes arrivées à la fin du parcours spirituel[13]. La notion de chercher et de trouver, mentionnée dans le second logion, est omniprésente dans la Bible[14]. L’Évangile des Hébreux a gardé la trace de ce second logion, ce qui montre son importance pour les Judéo-Chrétiens. Tout cela m’a conforté dans mon intuition que le deuxième logion contenait la clé de l’Évangile de Thomas.

 Voici donc les étapes telles que j’ai pu les reconstituer :

La première étape s’adresse à « celui qui cherche » un sens à sa vie. Les vicissitudes de la vie peuvent nous amener à nous interroger sur son sens et à remettre en question la notion de bonheur telle que proposée par la société. Ou parfois, à travers des rencontres, des conférences ou des livres, nous prenons conscience de l’existence d’une autre réalité (au-delà de ce qui est visible). On se tourne alors vers les écrits philosophiques ou spirituels, on « cherche » des réponses. Cette étape est la première province du Royaume, dans laquelle nous réalisons principalement les limites de notre vie actuelle.

La deuxième étape nous encourage à « chercher jusqu’à ce que l’on trouve ». Mais que doit-on chercher (et découvrir) exactement ? Le contexte montre qu’il s’agit de déterminer quelle est notre vraie nature et que la réponse est la Gnose[15]. Dans la troisième étape[16], l’aspirant spirituel a trouvé la réponse à ses questions existentielles et met en place diverses pratiques spirituelles que je détaille dans mon premier livre[17]. La quatrième étape explique le trouble que l’aspirant éprouve au moment de sa première rencontre avec le Divin[18]. Au cinquième stade, son état d’esprit passe de l’étonnement à la stupéfaction[19] en connaissant ses premières expériences d’union (ou de plutôt de ré-union) avec le principe divin. L’étape suivante consiste à « régner sur le Tout ». Il est relié à tout et il a accès à tout. Dans la dernière étape, le chercheur « atteint le repos », c’est-à-dire le bonheur permanent et la plénitude. Ces étapes ou provinces du Royaume sont détaillées dans mon livre « Explorer son Royaume Intérieur » paru chez Bookelis.

Je me suis alors demandé si l’on trouvait des traces d’un tel cheminement spirituel dans d’autres traditions et j’ai alors étudié les ouvrages chrétiens qui décrivent un cheminement spirituel en sept étapes, comme ceux de Jean de la Croix. Mais finalement, la réponse se trouve dans « Le Château intérieur », l’œuvre majeure de Thérèse d’Ávila[20], qui y décrit également un itinéraire spirituel en sept étapes, dont la dernière est l’union avec Jésus. Selon la sainte espagnole, notre château intérieur est divisé en sept demeures, comme autant d’expériences à vivre, chaque niveau décrivant une étape pour se rapprocher de Dieu.

Mais alors, cet itinéraire spirituel en sept étapes est-il clairement marqué dans le découpage du texte retrouvé à Nag Hammadi ? La réponse est oui, comme nous allons le voir. J’ai cherché dans le texte de Thomas des synonymes de cette union mentionnée par Thérèse d’Ávila et j’ai trouvé le mot-clé « la chambre nuptiale ». Ce terme se trouve dans le logion 104 (presque à la fin du manuscrit) et j’ai assigné expérimentalement le début de la septième province, l’union mystique, à ce passage.

La plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que le 114e logion ne figurait pas dans le texte original, car il semble contredire le 22e logion et le vocabulaire employé diffère de celui du reste du manuscrit. Il ne figurait probablement pas dans la version grecque plus ancienne que celle en copte[21]. Cela ferait du 113e logion la conclusion de cette œuvre. Le voici : « le Royaume du Père s’étend déjà sur la terre bien que les hommes ne le voient pas. » C’est ce qu’on appelle l’eschatologie réalisée. On remarque que cette notion est présente à différents endroits du texte. Donc visiblement le but de Thomas était de nous faire prendre conscience que le Royaume de Dieu ne viendra pas dans le futur comme le Nouveau Testament le laisse à penser, mais qu’il est déjà là.

Le troisième logion[22], au ton ironique, est particulièrement important puisqu’il nous dit que le Royaume est déjà en nous et que c’est là que nous devons le chercher. Ce logion indique l’objet de la quête. Au fur et à mesure de mes investigations, il m’est apparu que l’ouvrage du frère de Jésus explique comment entrer dans le Royaume, ou plus exactement comment le faire émerger en nous. En résumé, les logia 1 à 3 sont, en quelque sorte, l’introduction de cet Évangile et précisent son objectif, sa clé de lecture ainsi que son organisation[23].

Où commencerait la première étape ? Le début le plus plausible de cet itinéraire est le 18e logion[24] qui nous indique par où commencer notre quête et vers où nous diriger. En outre, dans le 18e logion figure le premier mot de la Bible, Bereshit, au Commencement, ce qui va dans le sens de mon hypothèse de travail. Quant à eux, les logions 4 à 17 sont une sorte de fourre-tout et de conseils pour la route.

Toujours chez Thérèse d’Ávila, la quatrième province, la quatrième demeure pour elle, est marquée par l’irruption de Jésus dans notre vie. Or, dans le logion 61b[25], Jésus fait irruption dans la vie de Salomé[26], l’une de ses disciples, littéralement il se couche sur le canapé (ou le « lit » selon les traductions) à côté d’elle et il mange à sa table ce qui montre une grande proximité entre eux. Un temps surprise, Salomé le reconnaît ensuite à sa juste valeur. L’emploi du mot « lit » par Jésus fait de nouveau référence à la chambre nuptiale. Tout cela m’a conduit à assigner le début de la quatrième province au logion 61. Encouragé par ces avancées prometteuses, j’ai cherché l’emplacement du début des autres provinces.

Comme dans les écrits de la sainte espagnole, la description de la deuxième province par Jésus est brève, car elle donne juste l’impulsion. Soit l’on poursuit sa quête, soit l’on passe à autre chose. Dans la deuxième demeure, Thérèse introduit l’oraison, sorte de méditation à l’occidentale, et le logion 27[27], qui parle d’observer régulièrement un vrai shabbat, m’a semblé une allusion à ce nécessaire recueillement et au calme indispensable pour l’obtenir.

La troisième province est marquée par la maîtrise des pratiques spirituelles proposées par Jésus, par une plus grande purification et par l’apprentissage du lâcher-prise. Le meilleur marqueur du début de cette étape m’a semblé être le logion 36 : « Ne vous souciez pas du matin au soir et du soir au matin de quoi vous vous vêtirez ». Il ne me restait donc plus qu’à isoler le début des deux autre provinces et à vérifier la cohérence de l’ensemble.

La cinquième province, selon Thérèse qui avait des communications régulières avec Jésus, est caractérisée par les premières expériences d’unions (mystiques). Des expériences fugaces, mais néanmoins marquantes. Ces expériences sont obtenues par une méditation profonde et le logion 74 qui parle de descendre dans une citerne avec des marches taillées dans le roc m’a semblé, dans un premier temps, le plus approprié pour marquer le début de cette étape. Cependant, j’ai finalement retenu le logion 73[28] et sa promesse de récompense au bout du chemin comme début de la cinquième province, car les logia 73 à 75 forment un tout.

Thérèse parlait d’un premier engagement pour la sixième province et j’ai donc cherché un verset qui parlerait de cette notion vers la fin du livre. Le plus parlant me semble être le logion 90[29] qui parle de la relation à Jésus et je l’ai donc retenu comme début de la sixième province. J’ai ensuite vérifié la cohérence de mes hypothèses. J’ai tout d’abord remarqué que les provinces sont organisées de la manière suivante :

  


Les premiers logia d’une province décrivent les expériences à vivre dans cette étape et, à la suite du logion charnière ou pivot, notre guide explique comment se préparer à l’entrée dans la province suivante. Sans surprise, les notions mises en avant sont de plus en plus élaborées au fur et à mesure des provinces. Ainsi, dans la première province, il nous est seulement suggéré d’avoir de l’amour pour les autres et de moins les juger. La septième province est avant tout un constat de la véracité de ce que Jésus nous a expliqué au début. À ce stade, nous pouvons vérifier l’absence de dualité entre nous et le Père. La troisième province contient le plus grand nombre de logia (25 au total). Visiblement les personnes arrivées à ce stade étaient la « cible » principale de Jésus. >Au final, nous avons donc affaire à un itinéraire spirituel cohérent et progressif.

 

En résumé, l’ouvrage du frère de Jésus était un vade-mecum de la Gnose. Et je vous invite vivement à explorer les sept provinces du Royaume en sa compagnie. Pour une description complète de la démarche proposée par Jésus et son frère et un commentaire complet des 114 logia, ainsi qu’une présentation complète de l’Évangile selon Thomas, je vous renvoie à la lecture de mon livre « Explorer son Royaume Intérieur » paru chez Bookelis. Je propose également une version abrégée de mon premier livre (108 pages au lieu de 376) pour ceux qui souhaitent entrer en douceur dans l’œuvre magistrale de Jude.

 


Vos retours sur le découpage que je propose sont les bienvenus.

Pour me joindre : bernard.luguern@hotmail.fr

 

Bibliographie sommaire :

 

Arnal William « Jesus and the Village Scribes » (Ausburg Fortress 2001)

Crossan John Dominic « Four other gospels » (Wipf & Stock 2008)

Crossan John Dominic « In fragments » (Wipf & Stock 2008)

Davies Stevan L. « The Gospel of Thomas » (Shambala 2004)

Davies Stevan L. « The Gospel of Thomas and Christian Wisdom » (Bardic Press 2004)

De Borman François « L’Évangile de Thomas : le royaume intérieur » (Autres regards 2013)

DeConick April D. « Recovering the Original Gospel of Thomas: A History of the Gospel and its Growth » (T. & T. Clark Ltd 2005)

De la Croix Jean « Œuvres complètes » (Desclée de Brouwer 1981)

Koester Helmut « Ancient Christian Gospels » (Trinity Press 1992)

Luguern Bernard « Explorer son Royaume Intérieur » (Bookelis 2019)

Luguern Bernard « L’Évangile selon Thomas dévoilé » (Bookelis 2019)

Thérèse d’Ávila « Le Château intérieur » (Rivages 1998)



[1] Comme Henri-Charles Puech ou Jacques E. Ménard

[2] « Thomas » signifie le jumeau.

[3] « Voici les paroles cachées que Jésus, celui qui donne la Vie, a dites et qu’a retranscrites Didyme Jude Thomas. »

[4] « Celui qui découvrira l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas à la mort. »

[5] Dans les logia 5 et 6. Exemple : « Il n’y a rien de caché qui ne soit révélé, et rien de couvert qui ne soit découvert. » (Logion 6)

[6] Logia 46 et 85

[7] Logion 19c

[8] Dans la version grecque incomplète retrouvée à Oxyrhynque.

[9] Jésus a dit : « Que celui qui cherche, ne cesse de le faire jusqu’à ce qu’il trouve. Et, quand il aura trouvé, il sera bouleversé. Et, étant bouleversé, il sera émerveillé et il régnera sur le Tout. Et, régnant sur le Tout, il trouvera le repos. »

[10] Matthieu 11.28

[11] Exode 33.14

[12] Psaume 23.2, Ésaïe 30.15, Jean 14.27, Galates 1.3, Romains 5.1, etc.

[13] 1 Corinthiens 4.8

[14] Jérémie 29.13, Matthieu 7.7-8, Luc 11.9

[16] « Quand il a trouvé. »

[17] Luguern Bernard « Explorer son Royaume Intérieur » (Bookelis 2019)

[18] « Et, quand il trouvera, il sera bouleversé. ».

[19] « Et, étant troublé, il sera stupéfait. »

[20] Thérèse d’Ávila, docteur de l’Église, a eu de nombreuses communications avec Jésus.

[21] Des fragments de cet Évangile en grec ont été retrouvés à Oxyrhynque à la fin du XIXe siècle.

[22] Jésus a dit : « Si ceux qui vous guident vous disent que le Royaume (de Dieu) est dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous devanceront. S’ils vous disent qu’il est dans la mer, alors les poissons vous devanceront. Mais, en fait, le Royaume est au dedans de vous et il est au-dehors de vous. »

[23] J’ai regroupé ces trois logia et le préambule dans une section de mon livre que j’ai appelée « la révélation du secret ».

[24] Les disciples demandèrent à Jésus : « Dis-nous comment adviendra notre fin ». Il leur répondit : « Avez-vous (déjà) découvert le commencement pour que vous cherchiez la fin ? Car là où est le commencement, là est la fin. Bienheureux celui qui prend place dans le commencement, il connaîtra la fin et il ne goûtera pas à la mort. »

[25] Salomé lui dit : « Qui es-tu, toi qui as fait irruption sur mon lit et qui as mangé à ma table ? » Jésus lui répondit : « Je suis issu de celui qui est unifié. Il m’a été donné de ce qui appartient à mon Père. » Salomé lui dit : « S’il en est ainsi, alors je suis ta disciple ».

[26] Salomé, aussi appelée Marie Salomé, était une disciple de Jésus qui apparaît brièvement dans les Évangiles canoniques et, de façon plus fréquente, dans les Évangiles apocryphes. Elle est aussi l’une des protagonistes du traité gnostique valentinien « Pistis Sophia ».

[27] Jésus a dit : « Si vous ne jeûnez pas du monde, vous ne trouverez pas le Royaume. Si vous n’observez pas le sabbat comme un sabbat (véritable et régulier), c’est-à-dire une période de repos, vous ne verrez pas le Père. »

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